Elisa Danton
Ces itinérances ou promenades sont issues d’un long travail de cartographie quotidienne mené en Thaïlande, à Bangkok, lors d’un échange universitaire puis à l’occasion de courts séjours.
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Suite à la création d’un journal cartographique, les cartes m’ont permis de garder en mémoire tous mes déplacements, conserver une trace de mes pas dans la ville et inscrire au creux des lignes, dans les petits points, les tirets et les mots qui les composent, des souvenirs, des images, des émotions.
Les cartes se sont faits à la fois guides et boussoles. Elles véhiculent et racontent aussi bien des fragments de ville que des moments de vie.
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Aujourd’hui je compose et recompose mes parcours, variant les techniques et les supports révélant la singularité de chaque nouvelle expérience.

PREMICES // BARCELONE

C’est lors d’un voyage scolaire à Barcelone, en 2014, sans appareil photo, que je décidai de m’interesser non pas à un point précis de notre parcours, mais à l’ensemble du chemin parcouru.
Ainsi, je suivais mes pas dans la ville, le bus dans lequel je me trouvais, les rails du tram que j’empruntais. Après tout, d’une place à un monument, le trajet de l’un à l’autre fait également partie du voyage, simple ou chaotique, il reste mémorable. Je décidai alors, de retranscrire sur le temps d’une journée, notre itinéraire. Guidés par nos professeurs, pas de plan de ville et donc nul besoin de mettre en éveil notre sens de l’orientation, nous suivions le groupe. Je pouvais alors mettre à profit mes autres sens.
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A la fin de la jounée, je tentais de me rappeler notre chemin. Je dessinais sans échelle. Un trait représente simplement mon mouvement, mes pas successifs. Le mouvement des lignes, courbes ou orthogonales était relatif à mon ressenti sur le parcours, relatif à la structure de la ville et à la liberté de déplacement sur les lieux où je m’étais trouvée.
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J’annotai ces histoires cartographiques, ajoutais des annecdotes, des parol;es, le nom de quelques rues, des bâtiments visités.
Finalement, pas de légende précise, pas de systématisme dans la représentation, le temps du voyage fut une première approche de la cartographie sensible.
Page du carnet de voyage à Barcelone.

ROAD TRIP EN BRETAGNE //
La seconde expérience de représentation de mon trajet quotidien fut la même année, dans la projection d’un voyage sur la côte d’émeraude, dans les Côtes d’Armor.
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Cette fois-ci, le travail ne pris pas la forme d’un carnet mais d’une carte globale couvrant mes déplacements sur 6 jours. La production de cette carte se fit en deux étapes : avant le voyage puis pendant.
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Avant de partir je fit un itinéraire prévisionnel. Sur la base d’un dessin à main levée de la ligne de côte, j’ai établi un parcours hypothétique, j’inscrivais à l’avance les points d’arrêts possibles selon leur intérêt : visite, panorama, balades, lieux où se restaurer, se loger et d’autres informations pratiques comme les horaires d’ouverture et les kilométrages entre deux étapes.
Ensuite, pendant le voyage, je l’ai complété, ajoutant des étapes, confirmant certaines données. J’ai dessiné des croquis, noté les pauses et les arrêts mais sans jamais formaliser le chemin précis ou les routes empruntées. La carte finale est un amas d’informations juxtaposées.
NANTES - MENER PAR LE BOUT DU NEZ //
Juste avant le départ en Thaïlande, je finalisais un travail artistique conduit lors de mon dernier semestre de licence. La consigne était la recherche de représentation graphique du parcours de notre appartement à l’école d’architecture.
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L’interêt de cet exercice était de s’éloigner de la représentation classique « en plan » et de trouver d’autres éléments « guides », plus informels, immatériels ou sensoriels, et les restituer graphiquement.
J’ai choisi les odeurs et les parfums. Pour recréer chronologiquement mon chemin, je l’ai ponctué et rythmé selon mes rencontres olfactives, représentées par des taches ou auréoles d’encres colorées, marron, ocre, bleu et gris. Diverses techniques d’humidification du papier et de variation du taux de salinité de l’eau m’ont permis d’obtenir des nuances de teintes et de textures correspondant à quelque chose de plus ou moins vaporeux, épais, acide, doux...
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Empruntant le vocabulaire spécifique des parfums (utilisé notamment dans la pratique du « kodo » : art japonais d’apprécier les parfums), j’ai légendé et classé les échantillons selon leurs similitudes puis recréé mon parcours chronologique à l’aide d’un flipbook.
Echantillons d'odeurs.

MOBILITE A BANGKOK //
Destabilisée, sans plus aucun point de repère, il fallait tout reconstruire, tout restait à découvrir. Je partais avec une page blanche, effrayée et curieuse aussi.
A ma connaissance, l’adresse de mon appartement : 9/95 Centric Scene, Phahon Yotin soi 9, Samen Nai, Phaya Thai, 10400 BANGKOK.
Autour, rien d’autre que des inconnues. Alors, survient cette éternelle question : où suis-je ? J'éprouvais un réel besoin de me situer.
Si l’utilisation commune d’une carte "classique" aurait pu m'aider, sur laquelle j'aurai pu facilement une petite croix, un point rouge signifiant mon adresse dans cette ville, elle ne me fut d’aucun secours car très peu utilisée par les habitants de Bangkok, souvent incomplète et parfois même incomprise.
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Il me fallait trouver une méthode de conservation ou de restitution de mes expériences quotidiennes qui me permettraient aussi d'agrandir mes connaissances de ce nouveau territoire. Je souhaitais expérimenter la représentation de mes parcours et décidai dans un premier temps de représenter le trajet de mon appartement à l’université. Puis, j’ai finalement pris en compte tous les types de déplacements que j’ai utilisés, quelque soit le point de départ ou la destination, multipliant les échelles de représentation. Petit à petit, j'élargissais mon champ de connaissances autour de mon appartement, au delà de mon quartier, hors de la ville et par-delà les frontières, au gré du temps, pour mieux m’approprier la ville, son territoire et ses esprits.
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PROCESSUS DE FABRICATION DES CARTES //
DE L'EXPERIENCE REELLE AU DESSIN
Pour les premières cartes, j’ouvrais une page web, trouvais google map, et scrutais la carte pensant pouvoir retrouver mon chemin. Je pouvais vaguement situer mon parcours dans une partie de la ville mais je ne faisais finalement que recopier le peu de détail que google avait à me fournir. Cette retranscription semblait juste mais s'accompagnait aussi d'approximations qui ne faisait pas parties de mon parcours réél.
Finalement, cette carte était si silencieuse, pas de bruit, pas de gens, pas de couleur, pas d’odeur, elle ne m’aidait pas à me situer. Elle était dénuée d’information concrète et ne reflétait pas la frénésie, le fourmillement ressenti. Alors, j’ai décidé de faire confiance à ma mémoire.
Une fois la journée passée, je restituais mon parcours. Parfois, je laissais une semaine passer avant de retracer mes faits et gestes. Si ce temps s’allongeait, je maintenais une certaine rigueur dans la prise de notes des actions de chaque jour. C’est à dire que je préparais mon carnet en notant la date du jour accompagnée d’une petite liste.

Se souvenir de ce que l’on a fait toute une journée est parfois difficile, surtout lorsqu’on parcourt un terrain inconnu. Je débutais chaque carte par un point particulier : celui de mon appartement. En considérant que le départ de la journée se faisait dès lors que je quittais mon “chez moi” ou autre lieu où j’avais logé pour la nuit. Ensuite, me venaient en tête des éléments marquants, des points de repères, des flashs visuels, ou petites scènes m’aidant, par bribes, à reconstituer un trajet plutôt exact chronologiquement parlant.
J’expérimentais la ville et à la fois sa représentation. Car l’intention n’était pas de produire une carte de la ville semblable à un google map, je ne cherchais pas tant d’exactitude dans mon dessin. Sans me soucier de l’échelle graphique, ni des noms exacts des rues, je me laissais guider par mes souvenirs et mon imagination.
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Selon le jour, selon l’humeur, et selon toute autre condition particulière et variable qui rend unique chacune des rencontres avec l’espace urbain, mon regard sur la ville changeait.
La manière, le point de vue, l’expérience, faisaient varier mon interprétation de la réalité et mon dessin aussi, évoluant au cours du temps.
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Les premières cartes suivaient les conventions de la carte de ville telle que je les connais, telles que l’on me les a apprises. Mes traits représentaient les contours de la chaussée. Puis, les suivantes s’en détachent. Et, petit à petit mes traits se sont affinés, sont devenus plus justes. Un trait correspondait à mon parcours, mes pas. Ils suivaient mes mouvements, courbes ou rectilignes selon mon ressenti, variant selon le mode de transport utilisé.
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Les changements dans la représentation se sont fait par étapes. Ils sont en correspondance avec les périodes de voyages ou excursions hors de la ville. Lorsque je sortais de mon quotidien, je découvrai à la fois de nouvelles villes et d’autres méthodes de déplacement. J’adaptais alors mon dessin à ces nouvelles pratiques.
J’enrichissais graphiquement mes cartes au fur et à mesure tout en définissant une légende de plus en plus complète.

// LEGENDE
Les cartes ne sont pas de simples traits, lignes et pointillés, elles sont aussi composées de petits symboles.
La pluralité de ces éléments vient de l’accumulation de certains, empruntés au code graphique des cartes touristiques (repas, point de vue panoramique) ou plan de ville ; et d’autres créés et adaptés au territoire thaïlandais (comme les pagode set temples) ainsi que d’autres synonymes d’action comme “aller boire un verre” “écouter de la musique ou faire un skype et même voir le lever ou coucher du soleil.

MEMOIRE //
A mon retour en France je décidai de me saisir de ma production de cartes comme support d’analyse et de compréhension des pratiques et valeurs culturelles thaïlandaises. Grâce à ces mémoires graphiques de mon quotidien, je pouvais alors rendre compte et partager mon expérience.
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Le mémoire se compose de deux volumes. Le premier est un recueil de cartes dans lequel est expliqué la méthode de dessin.
Le deuxième est une relecture et analyse du fond et de la forme des cartes. Elles devienent des guides, des morceaux d’histoires qui racontent comment pratiquer la ville.